Quand on arrive chez Catherine et Patrick, on découvre une exploitation comme une autre : un chien dans la cour qui monte la garde, des bâtiments de ferme, des champs alentours à perte de vue, une maison bien entretenue… En pleine campagne de Loire-Atlantique, ce couple d’agriculteurs nous parle d’une lourde épreuve qu’il a traversée comme tant d’autres avant eux.
« On revient de vacances Lisa ! », s’exclament Patrick et Catherine* quand nous rentrons dans le salon. Grand sourire aux lèvres, quelques blagues, accueil chaleureux… difficile de deviner que ce couple enthousiaste vient de vivre des années très compliquées. Lisa Farré, assistante sociale à la MSA Loire-Atlantique – Vendée, retrouve pour la première fois depuis deux ans ce couple qu’elle a suivi dans le cadre du réseau « Prévenir le mal-être des exploitants agricoles ». Et pourtant, « Il y a un avant et un après », confie-t-elle.
L’avant, c’est en 2020, quand le couple est pris en charge par les services de la MSA suite à un signalement d’un membre du réseau. À ce moment-là, Patrick et Catherine sont au bout du rouleau. Ils enchaînent les déconvenues. En 2015, leur fils a rejoint l’exploitation et ils ont créé un Gaec avec lui.
Mais entre la crise du lait, le Covid, et une dermatite digitale – une maladie bactérienne et infectieuse – qui touche les bêtes, le couple est pris à la gorge financièrement. La dermatite s’étend à tout le troupeau, les exploitants n’atteignent pas leurs quotas de lait…
Pour se refaire, il faudrait bénéficier d’un prêt pour racheter des bêtes que les banques leur refusent. Ils se tournent vers une solution qu’ils pensent salutaire : la location de génisses via une entreprise qui propose ce service. Ce sera tout l’inverse. C’est « la plus grosse connerie qu’on ait faite », dit même Patrick.
Ils s’enfoncent encore plus dans les dettes. Sans aucune solution, l’angoisse et les problèmes s’installent et se pose alors la question de continuer ou non dans cette voie.
C’est à ce moment-là que le réseau Réagir intervient. « J’ai d’abord rencontré Catherine en octobre 2020, explique Lisa Farre. Elle portait tout sur ses épaules. Puis j’ai rencontré Patrick, qui était vraiment en souffrance, et le fils qui voulait poursuivre l’activité. » Un contexte fréquent dans le milieu de l’agriculture. On ne parle pas de ses problèmes, on reste discret et on souffre en silence. « C’est la honte qui est le pire dans ces moments-là », confie Catherine. Le fait de travailler en famille, d’être en milieu rural, complexifie les relations et les difficultés.
Ils n’auront pas le temps de revoir leur assistante sociale en janvier comme prévu. Le 28 décembre, Patrick fait un infarctus. « Tout ce qui s’était accumulé est ressorti », confie Catherine. « On était à bout », avoue Patrick, qui a mis sa fierté de côté pour faire face à la situation.
Cet événement est paradoxalement salvateur et change la donne. « J’ai eu le temps de réfléchir, enfermé entre quatre murs pendant quelques jours », explique l’agriculteur de 61 ans, dont le frère s’est suicidé plus jeune. Il prend ce « coup de massue », comme il l’explique, très au sérieux.
Le bout du tunnel
Le vrai déclic se fait après une formation de trois jours, organisée par la chambre d’agriculture en collaboration avec la MSA « Continuer ou se reconvertir ». L’occasion de rencontrer d’autres agriculteurs, en difficulté ou non, mais qui partagent eux aussi leur expérience, et des experts qui avancent des solutions.
Après ce choc, la décision est prise. Ils arrêtent l’exploitation. La MSA leur propose différents services : aide au répit, service de remplacement, aide administrative… Le couple vend du matériel, des tracteurs, leurs vaches pour éponger leurs dettes.
Ils démarrent une nouvelle vie. Patrick se concentre sur sa rééducation cardiovasculaire et la gestion administrative de son dossier médical tout en préparant sa retraite, et Catherine entame une reconversion professionnelle. « Nous ne nous sommes jamais sentis aussi bien », concluent-ils de concert.
Patrick est maintenant à la retraite et Catherine travaille dans une maison de retraite. S’occuper de leurs petits-enfants, voyager… le couple a plein de projets et peut commencer sa nouvelle vie !
*Les prénoms ont été modifiés.
Prévenir le mal-être agricole
Pour faire face à la souffrance dans le milieu agricole et au risque de suicide, la MSA, la chambre d’agriculture et 15 autres organisations professionnelles agricoles (OPA), ont mis en place un réseau qui détecte, oriente et accompagne de manière coordonnée et le plus précocement possible les exploitants agricoles en situation de mal-être et de souffrance psychique.
Les MSA, Solidarité paysans et les cellules Réagir sont également disponibles dans chaque région pour répondre à ces besoins.
Numéros d’urgence :
– Agri’Écoute : 09 69 39 29 19.
– Numéro national de prévention du suicide : 31 14.