Lorsque le vaccin sera trouvé, il faudra sabler le champagne pour fêter tous ensemble l’événement qui aidera à recouvrer le sentiment de sécurité sanitaire pulvérisé par la pandémie du Covid-19. En attendant cette occasion qui redonnera peut-être des couleurs au chiffre d’affaires des viticulteurs au point mort depuis le mois de mars, il faut parer aux difficultés immédiates des exploitants qui affrontent avec inquiétudes l’après-confinement.

Première crainte : comment résoudre le problème de la main-d’œuvre sachant que le déplacement de région à région n’est pas autorisé et que les frontières sont fermées jusqu’à la fin de l’été dans le meilleur des cas. Or le travail des vignes n’attend pas. Trouver des bras commence à devenir urgent. « Aujourd’hui vient le palissage. Il s’agit de mettre les brins poussant dans les fils de fer pour former une belle haie. Là nous faisons venir des gens du Nord. Ils sont hébergés dans une maison suffisamment grande, avec jardin. Ils se font à manger. Mais pour l’heure, c’est l’inquiétude. Avec le coronavirus que devons-nous faire ? Est-ce que nous en avons le droit ? Est-ce que nous sommes autorisés à les installer ensemble ? », s’interroge Jean-Pierre Robert, administrateur à la MSA Sud Champagne et producteur de champagne à Riceys, commune du Sud du département de l’Aube.

La crainte de manquer de bras monte

Même questionnement concernant les futures récoltes du raisin. Pierre Dumont, aussi administrateur à la MSA et viticulteur, cogère une structure de 24 hectares à Champignol-lez-Mondeville, à vingt minutes de voiture de Colombey-les-deux-Eglises, nichée entre Troyes et Chaumont le long de l’autoroute A5. « La vendange arrive dans cinq mois, en septembre-octobre. Les recrutements se préparent maintenant. On ne sait pas bien comment ça va se passer. En Champagne, 50 % des vendanges au moins sont réalisées par des prestataires de service, dont 20 % de personnels viennent de l’Europe de l’Est comme la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie et même l’Albanie. Comment vont-ils être remplacés ? »

« L’accompagnement des entreprises est le socle dur de nos caisses », affirme Pierre Dumont, administrateur à la MSA Sud Champagne et viticulteur, à Champignol-lez-Mondeville. – Photo © P. Dumont.

Les deux récoltants-manipulant, c’est-à-dire qui fabriquent eux-mêmes leur champagne, ne comptent pas sur la plateforme de solidarité mise en place par le ministère de l’Agriculture pour pallier le manque d’effectif [Problème identique en Corse à lire ici]. Car la reprise des activités progressive, depuis la levée du confinement le 11 mai dernier, est en train de rebattre les cartes des besoins dans le pays. « Les entreprises redémarrent. Tout le monde se met à retravailler. Les gens de l’ombre nous ne les aurons pas aux vendanges. »

« Il faudra de l’argent pour tourner »

Bien sûr, le secteur n’a pas les problèmes des producteurs de denrées périssables. « Pour nous, si la bouteille est vieillie six mois de plus, ce n’est pas dramatique. Notre souci, c’est le manque de trésorerie », admettent les deux hommes. Et ce manque-là risque de s’aggraver si les ventes ne reprennent pas. « J’ai entendu parler d’un projet de vider les cuves pleines qui ne seraient pas libérées pour la vendange prochaine, en vue d’acheminer ce vin vers la distillation. Le problème, insiste Jean-Pierre Robert, c’est quelle valeur en tirera l’exploitant ? C’est une solution technique. À la limite, que le vin soit vendu ou pas, c’est une chose. Ce qu’il faut pour perdurer et passer ce cap économiquement, c’est de la trésorerie à l’exploitation, à l’entreprise, à la très petite entreprise artisanale, il faudra de l’argent pour tourner. » Et de rappeler que le Covid-19 est « un grain de sable supplémentaire » à la situation du vin dont les ventes diminuent depuis la crise financière mondiale de 2008 et les taxes de Donald Trump sur les produits européens.

Des points inconnus encore trop nombreux

« Gérer, c’est prévoir, assure Pierre Dumont, mais un certain nombre d’éléments nous empêchent de le faire. C’est la grande difficulté des petites entreprises. On n’a pas beaucoup de marge de manœuvre. Quand les choses se présentent de cette façon, cela peut prendre des tournures catastrophiques. » Et les points sans réponses sont légion : ouverture des bars et des restaurants, transport, exportation, tourisme…

La solidarité pour amortir les conséquences de l’épidémie

La MSA Sud Champagne, attentive au sort de ses adhérents, les a identifiés. Afin de favoriser l’emploi, par exemple pour le palissage, elle reconduit le partenariat passé avec le conseil départemental de l’Aube, Pôle emploi et la CAF afin que les bénéficiaires du RSA puissent cumuler l’allocation et la rémunération issue de ces travaux. Cependant, affirme Jean-Pierre Robert, « toute seule, la MSA ne pourra pas faire face aux différents problèmes rencontrés, même si elle peut faire germer des idées, des solutions et les proposer. Mais c’est une réponse collective qu’il faut. »
Dans cette crise, le syndicat des vignerons, les maisons de champagne, les négoces, le comité interprofessionnel du vin de champagne ont aussi un rôle à jouer. La solidarité est nécessaire pour éviter au secteur de boire la tasse.

Photos © MSA Sud Champagne