Quelles sont les spécificités de la précarité alimentaire à la campagne ?
Il y a d’abord les contraintes spatiales. En zone rurale, les gens n’ont pas tous la possibilité de se déplacer jusqu’à une grande surface, soit parce qu’ils ne sont pas véhiculés, soit parce qu’utiliser une voiture coûte trop cher. Les petites épiceries de proximité, quand il y en a, sont plus chères et ouvertes à des horaires réduits.
De plus, les structures d’aide alimentaire sont beaucoup moins présentes qu’en ville. Et dans les villages, l’absence d’anonymat constitue un frein pour s’y rendre car on craint le regard des autres. Il faut également évoquer les cas d’isolement. Certaines personnes possèdent les revenus nécessaires mais la solitude leur a fait perdre la fonction sociale du repas : le partage, le goût et le plaisir de l’alimentation.
Quelles sont les stratégies pour s’en sortir au quotidien ?
Les personnes en situation de précarité alimentaire ont souvent plusieurs sources d’approvisionnement. L’aide alimentaire, l’achat d’excédents en supermarché via les paniers « antigaspi », la récupération des invendus à la fin des marchés, le glanage dans les champs… Il y a également les achats en commun pour bénéficier d’un prix de gros et partager les déplacements.
Il existe aussi des systèmes d’entraide où l’on échange de la nourriture contre des services divers. Enfin, certaines personnes se privent volontairement d’un repas afin de pouvoir financer des produits alimentaires de meilleure qualité de temps en temps.
Ces situations ne sont-elles pas paradoxales dans des zones de production agricole ?
Le caractère agricole d’un territoire ne se traduit pas toujours par une fonction nourricière locale. Dans l’Hérault, par exemple, il y a une forte spécialisation dans la viticulture, ce qui ne nourrit pas les habitants. Pour certains maraîchers, il est plus rentable de faire une heure de route pour vendre leur production à Montpellier, en plus grande quantité et à prix plus élevé, que de le faire sur un marché proche.
Quant à l’autoproduction, elle n’est pas accessible à tous car il faut avoir un terrain disponible, une bonne condition physique et des connaissances agricoles solides.
Comment les associations agissent-elles ?
Le système de l’aide alimentaire évolue. Il a parfois été critiqué en raison de la faible qualité des produits distribués, d’une certaine violence symbolique (sentiment de charité, file d’attente…), et aussi parce qu’il est devenu un maillon du système agroalimentaire : les grandes surfaces bénéficient de réductions fiscales sur les dons d’invendus depuis la loi Garot de 2016 relative à la lutte contre le gaspillage..
Les formes alternatives se développent comme les épiceries solidaires, où les bénéficiaires sont davantage acteurs puisqu’ils y font leurs courses eux-mêmes et payent entre 10 % et 30 % du prix réel. De plus, le rapprochement avec les acteurs agricoles locaux permet de proposer une meilleure qualité.
Quelles actions les pouvoirs publics peuvent-ils porter ?
En 2020, l’État a mis en place le Comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire, qui prévoit notamment un plan d’action de transformation de l’aide alimentaire.
Il y a aussi les Projets alimentaires territoriaux (PAT), créés en 2014 pour promouvoir la relocalisation de l’alimentation, les circuits courts, etc. Ceux-ci sont également devenus un outil de lutte contre la précarité. Ils coordonnent les acteurs locaux et peuvent également leur offrir un soutien financier ou technique.