Quelques jours après le confinement, les équipes de la MSA de la Corse, en télétravail, se sont mises en ordre de bataille, à l’initiative du directeur Christian Porta, pour aller à la rencontre de la population et identifier ses besoins. « Il y a eu la volonté de réagir par rapport au Covid-19, de se rapprocher du rural et de voir ce qu’on peut faire pour aider les gens. Toutes les actions susceptibles d’améliorer la vie de nos concitoyens étaient possibles. Il fallait vraiment réfléchir. C’est pourquoi le directeur a constitué un groupe de travail que l’on a nommé “MSA Sulidaritá” (MSA Solidaire en Corse). On était 8 à 10 personnes, témoigne Cristelle Cherchali, conseillère en prévention au service santé sécurité au travail (STT) [Son interview à lire ci-dessous], venant de tous les services de la MSA. Et spontanément, on s’est dit : passer un coup de fil aux gens pour leur demander comment ça va, cela leur fait toujours plaisir. » Le phoning s’est imposé comme une évidence, avec un simple objectif : « Prendre des nouvelles, vérifier si les personnes rencontrent des difficultés. »
« À chaque fois, il y a un suivi »
Après quoi, les équipes se sont réparties les personnes à contacter par cible : les employeurs, les exploitants sans main-d’œuvre et les salariés. Le principe étant, au moment du coup de fil, d’être en mesure de répondre à son interlocuteur grâce à la connaissance de la spécificité de tous. Les conseillers prévention santé-sécurité au travail (SST), les conseillers en cotisations, les contrôleurs et les responsables cotisations s’occupent d’appeler les employeurs, filière par filière. Maîtrisant la technicité des questions liées aux cotisations, ces agents sont capables de comprendre et d’élucider les difficultés soulevées. Colomba Rossi [Son témoignage complet ci-dessous], conseillère en protection sociale depuis trente-quatre ans, a participé à l’opération. Elle en détaille la méthode : « On se répartit les entreprises. Nous sommes deux conseillers, trois contrôleurs qui participent, et Cristelle Cherchali du service SST. » Très vite, plus de 400 employeurs sont identifiés dans la région. Au 22 avril, deux cents coups de fil sont passés, chacun d’une durée minimum de 10 minutes. L’échange prend au fil des appels l’allure d’un accompagnement personnalisé. Céline Prieto, chargée de mission, l’explique : « Quand les gens sont en difficulté, on les oriente vers les bons services, on répond à leurs questions, on signale leur cas quand il y a une précarité. À chaque fois, il y a un suivi. »
Le front office, constitué par les correspondants d’accueil, a été chargé de contacter les exploitants agricoles sans personnel salarié. Enfin, les infirmières en santé au travail et les assistantes sociales du service action sanitaire et sociale se sont concentrées sur les salariés, les habitants et les personnes fragiles du monde rural.
L’élan de solidarité de la MSA de la Corse a visé aussi les résidents des Ehpad insulaires, très vite devenus des foyers épidémiques du Covid-19. En avril, l’institution a offert 20 tablettes numériques Retour sur cette action.
Un appel amical
Selon le groupe à appeler, chaque conseiller ou agent a joint par téléphone les personnes qu’il connaît. L’opération de l’appel amical ne comprend pas le terme « amical » par hasard : il tire son sens dans la relation habituelle et de proximité tissée dans le temps, sur le terrain avec les personnes. Et cette déclaration d’amitié de la part de la MSA, par le simple acte du coup de fil, est d’autant plus la bienvenue qu’elle arrive dans un moment éprouvant pour la région, le pays, dans cette attente quotidienne d’une réduction de l’épidémie. Avec les conséquences que l’on sait sur l’économie. « Nous sommes là ! » Ces mots pourraient bien résumer le message fort adressé aux populations. Ce qui répond aux besoins exprimés par toutes les personnes contactées, observe Cristelle Cherchali. « Ils sont commun aux trois groupes. Être rassuré, écouté et savoir que la MSA est présente à leurs côtés qu’ils soient salariés, employeurs ou exploitants. »
Un message entendu et salué
À regarder les indicateurs de suivi des appels mis en place par la MSA, il n’y a aucun doute sur les bienfaits d’une telle initiative sur le moral des individus : l’opération fait mouche. « Il y a 100 % de satisfaction. Tous les gens sont agréablement surpris par notre démarche. Ils sont touchés. Ce qui est bien, se félicite Céline Prieto, car cela nous rapproche des employeurs agricoles, souvent critiques, mais qui là sont très contents, même s’ils rencontrent des difficultés. Ils sont émus par le coup de fil. »
Détection des besoins
Avec ces échanges, la MSA remplit aussi son rôle de vigie sur les territoires et du monde agricole à un moment crucial. Les coups de fil permettent d’obtenir une photographie à l’instant t de la situation en Corse, activité par activité, groupe par groupe, personne par personne. Et premier problème constaté chez les agriculteurs, celui de l’écoulement de la production. Comme partout ailleurs, la Corse se mobilise pour soutenir ses agriculteurs. « C’est vrai, témoigne Jean Pittiloni, responsable du service cotisations, contentieux et contrôle, que les Corses achètent local pour essayer de maintenir la production de l’île. Les grandes surfaces se sont engagées à acheter. Les coopératives… il y a un grand soutien des chambres d’agriculture, de l’office du développement agricole et rural de Corse. Ces derniers ont passé des accords pour soutenir les achats, maintenir les prix ; ils s’engagent à acheter les productions, à payer le transport, l’abattage des bêtes… Ils font beaucoup de choses. » Les chambres d’agriculture de Corse ont lancé une opération baptisée Mangeons Corse, préservons notre culture, pour soutenir ses paysans, qui a pris la forme d’une carte géolocalisée très pratique, recensant toutes les fermes de l’île. Elle est accessible en page d’accueil du site. Le particulier n’a qu’à cliquer sur la zone de son choix pour trouver un point de vente des produits locaux qu’il veut. Et le choix est varié, allant de la charcuterie, aux fromages, à l’huile d’olive, aux légumes, aux fruits, au miel, à la viande et aux vins.
Reste que cette vente directe ne sera pas suffisante pour pallier le manque de tourisme. Les soucis menacent de se multiplier avec les beaux jours. Les touristes ne seront pas là pour consommer les produits maraîchers, les légumes et les fruits de saison comme les pêches, les abricots… Déjà des problèmes se posent pour les fromages malgré les bonnes volontés locales. À la question de l’écoulement des produits ou des stocks, s’ajoute celle de la main-d’œuvre saisonnière, urgente à l’approche des travaux de printemps, en dépit de la plateforme lancée par le ministre de l’Agriculture. L’armée de l’ombre sera-t-elle suffisante et compétente pour répondre aux prochaines échéances imposées par le rythme de la terre et des bêtes. Pas sûr. L’inquiétude est palpable chez les professionnels. Les conseillers de la MSA l’ont constatée lors de leurs échanges.
Des viticulteurs asphyxiés
Autre situation alarmante : les viticulteurs [À lire notre article sur ce secteur en Champagne]. Le chiffre d’affaires des producteurs de vin est en berne. Les bouteilles ne se vendent pas, le vin ne figurant pas dans la liste des produits de première nécessité. Un mot résume la situation des petites et des grandes exploitations viticoles après un mois de mars à l’arrêt : « catastrophique », dit Jean Pittiloni. Il insiste : « Ils sont très inquiets. Ils vont se retrouver en grandes difficultés financières sous peu. » L’anxiété liée à l’après confinement et le flou qui pèse sur la reprise des activités dominent. « Au niveau des employeurs, souligne-t-il, beaucoup font face aujourd’hui à leurs cotisations mais c’est pour demain qu’ils s’inquiètent, et pour la période estivale. Le tourisme compte énormément dans notre système économique. Si les fruits, les produits maraîchers ne sont pas écoulés pendant la saison touristique, ils vont se trouver en grand danger. »
Photos © MSA de la Corse
Interview de Colomba Rossi, conseillère en cotisations.
Avez-vous rencontré beaucoup de personnes en difficulté ?
Aujourd’hui je n’ai pas rencontré de cas de détresse. Mais certains sont très inquiets pour la saison à venir. La saison estivale s’annonce catastrophique.
Pouvez-vous expliquer le report des cotisations pour les agriculteurs ?
Les exploitants doivent régler leurs cotisations personnelles et, s’ils sont employeurs de main-d’œuvre, les cotisations salariales. Celles des exploitants sont calculées sur les revenus des années antérieures. Beaucoup les règlent par prélèvement mensuel. Pour eux, les prélèvements ont été suspendus depuis la crise sanitaire.
Pour ceux qui ne sont pas mensualisés, la date d’exigibilité du paiement du premier appel de l’année 2020 a été reportée. Au niveau des cotisations salariales, le prélèvement prévu au mois de mars pour les déclarations du mois de février a été suspendu. Ensuite les prélèvements ont repris au mois d’avril. La seule possibilité qu’ils ont, si réellement ils sont en difficulté, c’est de moduler le paiement. C’est-à-dire régler une partie voire, pour ceux en très grande difficulté, ne pas payer. Mais il faut leur rappeler qu’il ne s’agit que de report de cotisations. Cela ne vaut pas annulation. Si c’est possible il est donc préférable de régler pour éviter les tracas plus tard. Les exploitants contactés n’ont pas de grosses difficultés pour l’instant. Ils tiennent à être à jour. Ils craignent plutôt les mois à venir.
Certaines filières ont-elles plus de difficulté que d’autres ?
La grande inquiétude est liée à l’écoulement des productions car la saison touristique est largement compromise. Que ce soit les éleveurs ovins-caprins, les fromagers, la filière fruit, le maraîchage, la viticulture, l’oléiculture, ils vont être impactés par ce manque de vente. Hormis les producteurs d’agrumes qui eux n’ont pas de souci, comme la production se récolte en fin d’année. On le ressent déjà au niveau de la viticulture : avec la fermeture des commerces, des restaurants des bars, les ventes sont en chute libre. Eux ont déjà une perte du chiffre d’affaires par rapport à l’année dernière au même moment.
Le report de cotisations aide-t-il ?
Ce qui ressort, c’est qu’il va falloir suivre mois par mois la situation et son évolution. Aujourd’hui dans nos appels on a eu très peu de personnes en grande difficulté, mais elles nous ont fait bien ressentir qu’elles sont extrêmement inquiètes pour l’avenir, pour les mois qui arrivent. C’est peut-être à ce moment-là que le problème des paiements des cotisations va se présenter.
Comment ça se passe pour les viticulteurs et leurs salariés ?
Certains employeurs n’ont eu d’autre choix que de recourir au chômage partiel, notamment dans les caves viticoles. Par contre l’activité est maintenue sur les exploitations. Et les mesures sanitaires ont bien été prises chez tous les employeurs avec lesquels je me suis entretenue.
Interview de Cristelle Cherchali, conseillère en prévention.
Quel bilan faites-vous de cette opération ?
La satisfaction. Tous les gens sont contents de cet échange téléphonique. Cela rappelle cette valeur de proximité qu’on défend par rapport à nos adhérents, le fait qu’on soit des agents de terrain, proches des gens. Ça les gens l’ont vraiment remarqué.
Quand vous appelez une personne que lui dites-vous d’abord ?
Chacun a son réseau et appelle les gens qu’il connaît. En fait, on connaît quasiment tout le monde. On ne se présente pas au nom de tel ou tel service mais de la MSA, c’est important.
Quelles sont les difficultés observées ?
Certaines filières vont avoir des difficultés comme la viticulture. Déjà se pose le problème de l’écoulement de production. Actuellement les cuves sont pleines de la vendange de l’année dernière. Elles vont devoir être vidées pour recevoir celle de l’été. Avec la fermeture des restaurants, il y a moins de demande en vin. Idem pour la grande distribution. Ce problème se pose pour les gros viticulteurs. Pour les autres, un souci différent va se manifester au moment où les ventes vont reprendre. Avec de petites productions, ils vont se retrouver en concurrence avec les plus gros qui vont peut-être casser les prix pour pouvoir vider leurs cuves. Du coup, ces petits producteurs pourraient se trouver en grande difficulté. Ils ont peur d’être écrasés.
Y a-t-il un appel aux volontaires de l’île pour répondre au problème de la main-d’œuvre ?
Le déficit de main-d’œuvre se fait ressentir maintenant que les beaux jours arrivent. Pour les cultures de type pêches, abricots, on va avoir de grandes difficultés. De la même façon, on avait de la main-d’œuvre étrangère qui était rentrée chez nous pour les clémentines (en hiver). Elle n’a pas pu repartir. Les employeurs sont en attente d’autorisation qui leur permettrait de continuer de travailler avec ces ouvriers. Ces derniers ont des permis de travail pour quatre mois. Et même s’ils sont là sur le territoire, ils n’ont pas le droit de travailler juridiquement.
Salariés et employeurs ont-ils les mêmes inquiétudes ?
L’inquiétude du salarié va être liée à sa santé, à son emploi. Certains sont au chômage, d’autres au chômage partiel, d’autres encore en maladie, en arrêt de travail pour garde d’enfants. Les craintes s’expriment aussi par rapport au Covid-19. Est-ce que je ne vais pas l’attraper ? On est plutôt sur une problématique de santé. C’est pour cette raison d’ailleurs que l’appel aux salariés est réalisé par les infirmières du service santé-sécurité au travail et par les assistantes sociales.
Est-ce qu’il y a une souffrance née du confinement ?
La souffrance est plus liée à l’inquiétude économique qu’au confinement. La grosse angoisse pour beaucoup, c’est l’après : le déconfinement par lui-même et la crise économique derrière. Et la façon dont les gens vont réagir. Nous travaillons beaucoup avec le tourisme. Est-ce que les touristes vont revenir ? C’est la grande interrogation.