Saignon, ses ruelles étroites, ses places fleuries, sa fontaine monumentale parée de statues allégoriques faisant référence à l’agriculture et à l’abondance, ses 1 012 habitants et son parking du Grand Pasquier. En ce froid mardi de décembre, c’est sur cette vaste aire de stationnement qu’un véhicule aux allures de camping-car marque sa première halte. Avec pour toile de fond le village de caractère typiquement provençal qui s’étire au sommet de sa colline entre le Petit Lubéron et le plateau des Claparèdes, Claire et Inès s’affairent dans une synchronisation parfaite.

Installation

La prise branchée sur la paroi du bus, la première s’éloigne, l’enrouleur électrique à la main. Derrière elle, le câble s’étire sur quelques dizaines de mètres avant qu’elle ne le raccorde à la borne du parking. La porte arrière s’ouvre. Un châle sur les épaules, Inès apparaît dans l’encadrement. Elle installe un marchepied au cul du camion. La porte se referme. Quelques bling, blang, pam, poum perceptibles depuis l’extérieur indiquent que les choses se mettent en place à l’intérieur.

Il est 9 heures

Sur le parking du Grand Pasquier, le Lien ouvre ses portes pour accueillir les premiers usagers.

L’installation est terminée et les deux premières habitantes patientent aux abords du camion. Ne serait-ce le flocage, tout porterait à croire que c’est l’estafette d’un boulanger ou d’un boucher-charcutier ambulant. On s’attend à voir le hayon latéral se soulever. Mais c’est la porte arrière qui s’ouvre à nouveau. Inès, sur le seuil, salue les deux personnes et invite l’une d’elles à la suivre. Quelques secondes plus tard, Claire fait de même depuis l’ouverture latérale.

Avec ou sans rendez-vous

Ce n’est pas jour de marché à Saignon ; Inès et Claire ne sont pas commerçantes. Elles sont agents France services et le véhicule qu’elles ont mené jusqu’ici est leur bureau, l’outil de leur sacerdoce. Si les usagers ont coutume de l’appeler « le bus » ou le « camping-car », il répond en fait au nom tout trouvé de « Le Lien ». Il sillonne les routes, parfois sinueuses et resserrées, des 25 communes de la communauté de communes Pays d’Apt Luberon (CCPAL) depuis le 15 juin 2020.

Bureau-bus

« Nous devions démarrer en janvier mais c’était en pleine pandémie, explique Cosette Simon, animatrice responsable du Lien pour la communauté de communes. J’ai d’abord accueilli les usagers à la Maison du Pays d’Apt à partir du mois de mai. Nous avons réceptionné le bus en juin et il a aussitôt pris la route. Il était tout neuf. C’est un van aménagé avec des toilettes, un réfrigérateur, un four à micro-ondes et deux espaces bien séparés par une porte permettant de faire deux accueils en même temps. Il est équipé d’un routeur wifi, d’une imprimante-scanner, de deux ordinateurs pour les agents, d’une tablette et d’un ordinateur en libre-service. »

Notre territoire subit une désertification des services publics. Nous n’avons plus de caisse primaire d’assurance maladie, il n’y a plus d’agence de la caisse d’allocations familiales, il n’y a plus de MSA non plus. Nous perdons les services de proximité parce qu’on délocalise, on passe au numérique.

Mais il y a beaucoup de petits villages avec une population vieillissante et certaines personnes ne peuvent pas se déplacer, elles sont vraiment très isolées. Si l’on n’est pas à l’aise avec le numérique ou que l’on n’est pas équipé, pour numériser un document par exemple, c’est pratiquement impossible d’effectuer les démarches administratives. Les agents qui travaillent en France services sont vraiment appréciés. Les usagers sont heureux d’avoir quelqu’un en face d’eux, un échange, une réponse, et pas un serveur vocal qui leur dit : « Tapez 1, tapez 2 ».

Avec le bus, ils ont l’ensemble des services réunis en un seul endroit. Nous sommes vus un peu comme le messie. L’adhésion est totale. Le concept est superbe mais il prend de plus en plus d’ampleur, les préfectures veulent rajouter des services.

Nous avons déjà neuf partenaires ; je me dis que ça va devenir compliqué pour les agents parce qu’ils ne peuvent pas tout savoir, même si c’est un atout de travailler avec des personnels de la MSA car ils ont une connaissance de plusieurs législations.

Cosette Simon, animatrice responsable du Lien à la communauté de communes

Travail en itinérance

Dans sa structure mobile, l’équipe accueille les usagers avec ou sans rendez-vous du lundi au vendredi et un samedi par mois. Le matin dans une commune, l’après-midi dans une autre. C’est la promesse de contempler un tableau différent depuis la fenêtre de son bureau et de s’adonner aux joies de l’itinérance. Le lundi, c’est Cosette, en binôme avec Inès, qui conduit. Le mardi, accompagnée de Delphine (absente ce mardi, Inès la remplace), c’est Cathy qui prend le relais. Inès et Delphine sont toutes deux de la MSA. Agents intercommunales permanentes, Cosette et Cathy assurent le reste de la semaine.

Il est midi

Sur le parking du Grand Pasquier, le duo du jour réinterprète la chorégraphie du matin mais dans le sens inverse. Une fois vérifié que table, chaises ou tous objets susceptibles de dégringoler sont bien arrimés, Cathy prend le volant. Direction Bonnieux, à 16 km de là. Elles y seront dans une demi-heure, si tout va bien. « Ce matin j’étais un peu inquiète, confie la conductrice. Une fois, au tout début, je suis restée bloquée dans la montée de Saignon ; il y avait eu une pluie verglaçante. C’est une personne des services généraux qui est venue nous sortir de là ». Pas toujours évident d’avoir un bus pour bureau !

« Il faut savoir conduire, réparer une imprimante, pallier un défaut de connexion Internet, vidanger les toilettes, résoudre des problèmes de branchements et tout un tas de choses, ajoute‑t‑elle. Les journées sont intenses. Il faut récupérer le bus le matin, se rendre sur le premier site, installer, recevoir les usagers, remballer, faire le trajet (il y a parfois 35 à 45 minutes de route), ré-installer, manger… C’est énergivore ».

12h40

Les deux femmes arrivent à destination. À Bonnieux, c’est devant l’église que stationne Le Lien. À deux pas, un food truck s’est installé. Dans ce village qui ne semble vivre qu’à la belle saison, c’est le seul point de ravitaillement des affamés à des kilomètres à la ronde. Inès y commande son déjeuner. Claire a prévu sa gamelle. En attendant la pitance, elles répètent le ballet matinal. Prêt, le déjeuner est pris dans la salle à manger, l’espace bureau d’Inès.

13h52

Florine habite Bonnieux. Aujourd’hui, elle joue à domicile mais il lui arrive de se déplacer dans d’autres communes où le bus France services assure ses permanences. Au fil des rendez-vous avec Inès, un vrai lien s’est noué entre les deux femmes.

J’ai un bus à prendre !

À Bonnieux, Inès et Cathy ont à peine le temps de débarrasser la table du déjeuner que deux personnes attendent déjà aux portes du camion. L’une d’elles, chemises cartonnées sous le bras, profite des rayons du soleil qui baignent la façade de l’église. Il lui suffit d’apercevoir Inès pour que son visage s’illumine et qu’elle s’empresse de la rejoindre.

La conversation est déjà entamée lorsqu’elles disparaissent par la porte arrière du bus. Cette femme d’une soixantaine d’années a découvert le bus grâce à sa nièce, qui habite en face de l’endroit où il stationne.

« C’est simple, je suis seule et je n’ai pas Internet chez moi, explique Florine. Quand ma nièce m’a appris l’existence de ce bus, je me suis dit “il faut y aller !”. Avant, je travaillais, je n’avais pas de souci pour faire les démarches. Et puis il y a eu la retraite… Pour monter le dossier, c’est de la folie ! S’il n’y avait pas eu Le Lien et Inès, je n’aurais pas pu faire mes papiers. J’en suis incapable.

Quand je viens ici, je n’ai pas de stress, je suis bien ; je n’ai pas à courir partout ou à téléphoner pour finalement n’avoir personne au bout du fil. Je viens souvent les embêter, lâche-t-elle en glissant un sourire à Inès. J’ai encore deux, trois dossiers en cours. Je viens voir où ça en est. La prochaine fois, il y aura les chocolats pour Noël. Pour moi c’est parfait, pourvu que ça dure ! ».

« En majorité, ce sont des personnes de plus de 50 ans. Pratiquement 50 % des demandes concernent les retraites en ce moment », précise Cosette. Ce que confirme Cathy avant d’ajouter : « l’offre de services est très diversifiée, il faut s’informer sur un certain nombre de démarches. Mais ça ne s’arrête pas là. En ce moment, ce sont les chasseurs qui viennent car ils doivent déclarer leurs armes sur un site dédié. Nous n’étions pas préparées à ça mais nous le faisons.

Cette population est plutôt vieillissante. S’ils ont un smartphone et une adresse email, ça ne veut pas dire qu’ils savent les utiliser. La retraite, il est encore possible de la demander sous format papier mais l’ensemble des immatriculations est dématérialisé. S’il n’y avait pas le bus, ces personnes resteraient au bord de la route pour certaines démarches. »

Il y a une différence entre l’accueil MSA et l’accueil France services. Les rendez-vous durent en moyenne entre 1 heure et 1 heure et demie.

Nous accompagnons les personnes dans leurs démarches du début à la fin. Nous les voyons à plusieurs reprises, un lien se crée. Elles sont heureuses de pouvoir s’adresser à nous, qu’on prenne le temps de les guider, de les aider.

Au départ, nous devions nous contenter d’un accompagnement basique mais nous allons très souvent au-delà. Ce n’est pas facile d’avoir des gens démunis en face de soi, sans ressources, dont la demande de RSA n’a par exemple pas été traitée assez vite… c’est dur émotionnellement. Et puis il y a la fatigue des trajets, l’installation, passer d’une démarche à l’autre.

Pour nous agents MSA, le guichet unique est une force, il nous permet de voir toutes les législations et d’aider nos collègues de la communauté de communes. Parfois, nous avons des demandes incongrues. La plus atypique : une réservation de billet d’avion ! Nous ne sommes pas censées le faire… Exceptionnellement, je l’ai fait. L’été, on vient parfois nous demander où se trouve le chemin de randonnée !

Inès, agent France services made in MSA