Nicole et Pierre n’en reviennent pas : des bananes à Ollioules, dans le Var. Venus ce mercredi 16 juillet faire leur marché au domaine de l’Enregado, qui propose des produits bios en circuit court, ces clients en ont profité pour visiter la serre tropicale abritant bananiers et goyaviers. « On se croirait sous les tropiques », s’exclament-ils. Derrière, un champ aligne des plants de bananiers en pleine croissance. Plus loin se dessine une rangée de figuiers de Barbarie. Spectateurs médusés, ils contemplent ces fruits venus d’ailleurs.

Canicules répétées

L’exploitante Isabelle Pertois commence à s’habituer à la réaction des visiteurs intrigués par ses cultures depuis leur lancement en 2022. « C’est presque une attraction. Cet ailleurs, c’est le réchauffement climatique qui l’a apporté avec lui, entraînant la disparition d’anciennes cultures et un grand chamboulement. Personne n’est parti le chercher. »

L'exploitation est la curiosité locale : les nouvelles cultures développées laissent les visiteurs perplexes.
L’exploitation est la curiosité locale : les nouvelles cultures développées pour faire face au changement du climat laissent les visiteurs perplexes.

L’agricultrice installée en maraîchage bio depuis 2019 a dû compter avec. Lors de la canicule de 2022, elle comprend que son activité touche à sa fin. Les légumes ne supportent plus ni la sécheresse ni les fortes températures. Les épisodes caniculaires répétés de l’été compromettent le rendement des cultures.

Travailler plus et changer les pratiques n’y font rien. Isabelle Pertois est arrivée au bout de son modèle agricole. Chaque année, tout est réduit en cendres, y compris les heures de travail interminables et épuisantes passées à mener la production à son terme.

« Que faire pousser avec mon sol ? » 

« Le réchauffement climatique est une constante. Quand je me suis retrouvée dans mon champ à pleurer parce qu’il avait littéralement brûlé – plus rien n’y avait poussé : tout était jaune – j’ai compris que c’était le moment de mettre à profit mes compétences. Mon métier de base est géographe spécialisée dans la climatologie. Ce malheur m’a révélé ma propre expertise et assuré une forme de confiance. J’ai repensé et changé complètement mon système agricole. »

Isabelle Pertois cultive également des figues de Barbarie, peu gourmandes en eau. Cette culture représente un nouveau filon de culture.
Isabelle Pertois cultive également des figues de Barbarie, peu gourmandes en eau. Cette culture représente un nouveau filon de culture.

De fait, un climat méditerranéen sec s’est installé sur ses terres. Partant de ce constat, Isabelle Pertois s’inspire des modèles agricoles de l’Espagne et du Maghreb déjà confrontés aux mêmes conditions. L’arboriculture s’impose comme la solution la plus appropriée à son exploitation de deux hectares. « Elle me permet de lever le pied sur la main-d’œuvre, d’alléger mon temps de travail et de trouver des solutions face au manque d’eau, un problème crucial dans un environnement sec. »

Vers un nouveau modèle agricole

L’ex-maraîchère prend ce virage professionnel avec l’entrain d’une pionnière. Une renaissance. « Le fait de créer un modèle méconnu des autres exploitants m’a apporté la légitimité qui me manquait. Cela m’a aidée à m’installer sur une agriculture experte et durable. C’est dans la difficulté qu’on se révèle. » Enthousiaste, elle ne regrette rien. « Dans cinq ans, nous serons plus de 20 producteurs de bananes », glisse-t-elle. 

Face au réchauffement climatique, l'exploitation L'Enregado mise sur les cultures tropicales (bananes, goyaviers, papaye).
Face au réchauffement climatique, l’exploitation L’Enregado mise sur les cultures tropicales (bananes, goyaviers, papaye).

Le choix de lancer des cultures exotiques en Provence-Alpes-Côte d’Azur lui semble adapté à son sol. « C’est un champ d’expérimentation complètement ouvert. Les variétés cultivées répondent d’abord à la question : que faire pousser avec mon sol et mon climat ? Le papayer ne croît qu’en serre. Le bananier, lui, s’adapte en serre et en plein champ. Idem pour le goyavier fraise (et feijoa) et l’avocatier. Et je cultive beaucoup l’agrume parce que cette variété subtropicale supporte la chaleur. Je mène des expériences pour développer la culture de plusieurs espèces d’arbres fruitiers. »

Elle s’essaie également à d’autres techniques : le système oasien. À l’ombre des larges feuilles des bananiers, elle cultive des légumes et fait pousser des agrumes.

Cultures tropicales dans le Var

Pour structurer localement sa démarche, l’arboricultrice crée, avec une dizaine d’autres exploitants engagés dans l’aventure des cultures tropicales, l’association AgribioViar qui les accompagne et cherche des financements auprès de la région ou du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (voir encadré).

« Nous sommes dix à développer des cultures tropicales. Pour les agrumes, nous sommes une quinzaine de professionnels réunis au sein d’un collectif de recherche baptisé “groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE)”, qui nous permet de bénéficier de subventions. Un technicien nous accompagne, mutualise les données, s’occupe des itinéraires techniques et s’emploie à organiser des filières. Ce n’est pas tout de produire de la banane, il faut encore la vendre. Cela va passer aussi par une reconnaissance de ce fruit et la création de labels. »

Le secteur bio est mobilisé sur ces initiatives de la dernière chance : de l’échelon départemental à celui régional, données et expériences sont partagées. 

Association AgribioVar 

L’association AgribioVar rassemble 11 agriculteurs installés en bio dans le Var. Forte de huiy salariés, elle travaille en réseau avec tous les groupements d’agriculteurs biologiques de la région PACA. Elle met en place les dispositifs de groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) autour de projets agroécologiques. Le premier, appelé « diversification et adaptation au changement climatique », est tourné vers les fruits exotiques. Il réunit maraîchers, éleveurs, viticulteurs : en quête d’accompagnement et de connaissance sur les cultures tropicales. Le GIEE répond à ces attentes, assure les suivis, constitue de la donnée et favorise le partage des pratiques entre les producteurs. 

Ses journées de travail font 12 heures. Parfois plus. Après le champ, place à ses charges d’élue au sein d’AgribioVar. « Je ne peux pas en faire l’économie étant dans un début de production pionnière. Si nous-mêmes, agriculteurs, nous ne nous mettons pas à prendre des décisions, à les communiquer et à les faire valoir, personne ne le fera. »  

De nouveaux débouchés économiques

La vente en circuit court et la location de la serre aux entreprises pour leur événementiel permettent de payer ses charges. « Je ne mets pas de produits chimiques. J’épands le fumier de mes chevaux. Quand je tonds, j’utilise une tondeuse. Je n’ai pas besoin de tracteur puisque je ne travaille plus mon sol. » L’arboriculture a réduit ses coûts.

Pour l’heure, elle n’a pas encore les moyens de se verser un salaire. Mais elle garde espoir de tirer son épingle du jeu grâce aux nouveaux débouchés économiques promis à ses productions. « Le kilo de bananes d’Ollioules et mes papayes vont être vendus en hôtellerie et à la restauration de luxe. Cela n’a plus rien à voir avec la vente de salade verte ou de carottes. » 

Les vente en circuit court les mercredis et samedis matin ainsi que la location de la serre aux entreprises pour leur événementiel permettent à l’exploitante Isabelle Pertois, installée à Ollioules (Var) de payer ses charges.
Les vente en circuit court les mercredis et samedis matin ainsi que la location de la serre aux entreprises pour leur événementiel permettent à l’exploitante Isabelle Pertois, installée à Ollioules (Var) de payer ses charges.

 « On n’est plus en capacité de nourrir la population… » 

Aller vers de nouvelles cultures pour en vivre, c’est la voie laissée aux fermes comme la sienne et à celles de plus petites dimensions encore, malmenées par les variations climatiques. L’espoir de continuer le métier est là, sur ces produits de niche. Certains viticulteurs se tournent même vers l’aloe vera, un produit recherché par les pharmacies. Elle-même réserve sa production de citronnelle aux laboratoires pharmaceutiques.

Pour faire ce grand saut de la mutation dans le Var, Isabelle sait qu’il faut aussi se résoudre à changer d’état d’esprit et à faire le deuil de la fonction nourricière du métier agricole. « On n’est plus en capacité de nourrir la population mais on peut produire autre chose avec une valeur ajoutée. » Cette rupture dans la vision du métier fait partie de l’évolution imposée par les nouvelles conditions climatiques. 

L’ouverture au monde 

Pour se réinventer, l’ancienne maraîchère s’appuie sur ses relations et les contacts qu’elle noue lors de salons ou sur les réseaux sociaux comme YouTube. Sur cette plateforme, elle échange avec un agronome guinéen à propos des méthodes de culture de la papaye. Elle dialogue régulièrement par WhatsApp avec un producteur d’agrumes marocain. Cette année, elle a commencé la culture de la clémentine du Maroc. « J’ai un ami dont le père possède la plus grande exploitation d’agrumes du pays, dans la région de Berkane. Il me prodigue des conseils. Par exemple, il m’a appris que le goyavier, originaire d’Afrique équatoriale, s’est déjà acclimaté au Maroc. C’est grâce à lui que je le teste ici. » Le partage d’expériences avec des agriculteurs de différents continents contribue à mutualiser les forces face au réchauffement climatique mondial.