Prendre des vacances, être en arrêt maladie, en congé paternité, en formation… des droits devenus naturels pour la majorité des Français, et indispensables au bien-être. Mais pour les agriculteurs, laisser son exploitation n’est pas une mince affaire, notamment lorsqu’on est seul avec des animaux à soigner au quotidien. Pourtant, comme le rappelle Pascal Cormery, président de la CCMSA, lors d’une table ronde du congrès de SR France, qui s’est tenu les 17 et 18 mai à Bagnoles-de-l’Orne : « l’accident, la maladie, ça n’arrive pas qu’aux autres. La MSA recense en moyenne 19 500 déclarations par an chez les non-salariés1, et environ 90 accidents mortels de travail, presque 75 du côté des salariés. »
5 millions d’heures de remplacement
L’agent de remplacement s’avère donc indispensable pour faire face aux coups durs. Aujourd’hui, ils sont 15 000 répartis dans 329 associations sur tout le territoire métropolitain et l’Île de la Réunion, dont 2 500 sont en CDI et 40 % ont entre 20 et 30 ans. 400 collaborateurs administratifs et 3 000 agriculteurs bénévoles les épaulent pour environ 5 millions d’heures de remplacement réalisées chaque année. 70 000 chefs d’exploitation sont adhérents.
Soucieux de l’amélioration des conditions de travail et du mode de vie, ils accompagnent ainsi les agriculteurs à chaque étape de leur vie : lors d’un congé de maternité, de paternité ou d’adoption, pour prendre des vacances, un week-end, du temps libre, pour se former, acquérir et développer de nouvelles compétences, et bien sûr lors d’un arrêt de travail, maladie, accident, burn-out, ou encore pour participer au développement de leur territoire, de leur métier, exercer des mandats professionnels, syndicaux ou électifs.
« Quelle que soit la situation, il y a une notion d’urgence, continue Pascal Cormery. Malheureusement, on assure plus facilement son tracteur qu’on ne s’assure soi-même. Car au‑delà des indemnités journalières obtenues, il faut pouvoir faire face au coût du remplacement. Si la maternité est prise en charge, d’autres situations ne le sont pas. » Pour les congés, un crédit d’impôt, créé en 2006, complète le dispositif.
J’ai été agent de remplacement pendant cinq ans, en CDI dans plusieurs exploitations. En 2013, l’un de mes employeurs décède brutalement. Je suis intervenue en urgence. Ce n’était pas une situation facile. Il a fallu s’adapter. Quand on comprend qu’il ne reviendra pas, on se pose des questions : qu’est-ce qu’on fait, comment ? Le temps du deuil, on met de côté certaines interrogations. Puis vient le temps de : que va devenir l’exploitation ? Ensuite, tout s’est enchaîné.
Neuf mois plus tard, je me suis installée sur son exploitation, à 25 ans. Ses parents m’ont accompagnée. L’agriculteur n’était pas assuré, ce qui a entraîné des coûts conséquents. Je leur ai donc proposé de faire un contrat de parrainage.
Être agent de remplacement m’a permis de m’ouvrir plus, d’avoir confiance en moi, d’être autonome… Ça apporte beaucoup. Si une difficulté survient, il faut prendre une décision. On n’a pas le choix. Aujourd’hui, je suis moi-même utilisatrice du service et bénévole. Et je suis assurée. J’ai tout prévu.
Loren Duhameau, éleveuse de vaches laitières dans l’Orne, ancienne agent de remplacement.
Un rôle social majeur face au mal-être
L’aide au répit, mise en place par la MSA, fait également partie des mesures financées. Depuis la création de la fédération nationale, la prévention du mal-être et du risque suicidaire est une préoccupation majeure dont les services de remplacement se font l’un des outils essentiels. Ils sont à ce titre associés au nouveau plan gouvernemental lancé le 23 novembre dernier.
« Je pense qu’avec certains services de l’État, nous pouvons former les agents à appréhender ces situations difficiles, assure Pascal Cormery. Il faut également encourager nos jeunes. La plupart savent faire. La difficulté, ce n’est pas la technique, mais la relation humaine. Comment s’intégrer dans l’exploitation ? Comment communiquer ? Car c’est l’agent qui va apporter un soutien au quotidien. »
Il n’y a pas que le travail, les heures à faire, il y a aussi le social, pour les agriculteurs comme pour moi.
Un jour je suis arrivé sur la ferme en constatant que l’éleveur s’était fait charger par un taureau… J’ai fait intervenir les pompiers. Puis il y a eu tout le suivi. Il a fallu tout reprendre à zéro. J’essaie de faire la part des choses. Je m’adapte.Au fil du temps, on voit que ça évolue, que ce soit au niveau psychologique ou du travail. Cette personne, par exemple, n’aurait sûrement pas retrouvé confiance en étant seule. Il faut la booster pour qu’on s’en sorte. Dans ces cas-là, il faut surtout être patient. Certains, en détresse importante, peuvent être enfermés dans leur monde. Ça ne sert à rien d’avancer plus vite qu’eux. On court le risque qu’ils se sentent complètement débordés et que leur mental en prenne un sacré coup.
Vincent Filleul, agent de remplacement dans l’Orne.
Assurer le renouvellement des générations
Au-delà du soutien technique et social, il assure également la continuité de la production agricole, participe à l’amélioration de l’attractivité du métier, au renouvellement des générations. Face au changement climatique, à l’insécurité alimentaire, le métier doit s’adapter, évoluer. « Il faut absolument qu’on s’y prépare, insiste Sébastien Windsor, président des Chambres d’agriculture France. On a beaucoup accompagné l’investissement matériel, les plans de relance ont donné un peu d’oxygène. Mais si on veut un projet cohérent pour l’agriculteur, que ces investissements soient judicieux, bien utilisés, il faut arriver à soutenir l’immatériel, la formation, la montée en compétence, la réflexion sur son projet. Aujourd’hui, c’est le parent pauvre de l’accompagnement. Et ça demande du temps. Ça ne peut se réaliser qu’avec les services de remplacement. » Ceux-ci sont partie intégrante du développement agricole et rural.
Notre marque Faire bien est née d’une rencontre il y a quatre ans avec Naturalia. Nous avons travaillé avec nos éleveurs, des fournisseurs et des consommateurs pour construire un projet capable d’apporter une solution à une problématique de filière, ce que nous faisons depuis plus de dix ans déjà avec nos yaourts Les 2 vaches.
Très vite, le thème de la transmission s’est imposé. Comment rendre le métier plus attractif et préparer la relève ? Nous avons imaginé l’idée de récupérer 5 % du chiffre d’affaires, fléchés vers un fonds dédié. La première action pragmatique a été d’utiliser cet argent pour payer des agents de remplacement afin que nos éleveurs puissent partir en vacances sept jours par an. Depuis trois ans, certains agents se sont même associés à leur employeur ou sont entrés en tant que salariés dans l’exploitation.
Puis nous avons créé avec les services de remplacement, la chambre d’agriculture et le lycée agricole de Coutances une formation, devenue la première pépinière en charge de recruter de futurs éleveurs laitiers. Il y a d’autres choses à imaginer. En tant que transformateurs, nous n’avons pas toutes les solutions, mais on peut aider.
Christophe Audouin, directeur général, Les Prés rient bio.
(1) : Tout type d’accidents et de maladies du travail indemnisés par la MSA, moyenne par an sur la période 2015-2019, dont 16 400 avec arrêt ; 54 200 pour les salariés, dont 41 250 avec arrêt (source CCMSA).
50 ans de conquêtes sociales
► Années 60 : des agriculteurs se regroupent afin d’embaucher un agriculteur volant pour les remplacer sur leurs fermes.
► 1972 : le 29 septembre, lors de la conférence annuelle avec les dirigeants agricoles, le gouvernement annonce le déploiement des services de remplacement sur tout le territoire – création de la fédération nationale et décision pour que le président soit toujours choisi au sein du syndicat des Jeunes agriculteurs (JA).
► 1977 : les agricultrices obtiennent 14 jours de congé maternité financés par une allocation de remplacement.
► 1995 : le ministère de l’Agriculture dote les services de remplacement du cadre juridique de groupement d’employeurs pour le remplacement des chefs d’exploitation.
► 2001 et 2002 : le congé maternité est allongé à 16 semaines puis les agriculteurs obtiennent un congé paternité de 11 jours financé par une allocation de remplacement.
► 2005 : les partenaires sociaux créent le certificat de qualification professionnelle agent de remplacement.
► 2021 : le congé paternité des agriculteurs est allongé à 25 jours, et la première convention collective du secteur est mise en place, instaurant une grille de salaire pour tous les salariés.