Après la prison, une lueur d’espoir. La ferme Emmaüs-Maisoncelle, lauréate du programme Inclusion & ruralité de la MSA, accueille dans la Vienne des détenus en fin de peine pour faciliter leur réinsertion à la sortie de prison. Reportage.

Dans le hameau de Maisoncelle, à Lusignan dans la Vienne, au détour d’un petit chemin de campagne, une ferme rénovée se dessine sous une pluie battante. Devant les champs de légumes et les serres, des ouvriers agricoles bravent les intempéries. L’un pousse une brouette, un autre s’occupe de la taille des tomates. Plus loin, l’œil du visiteur découvre des ateliers et même un enclos à poules. Une activité agricole qui pourrait sembler classique, mais un petit détail nous indique que nous entrons dans l’enceinte d’une exploitation pas tout à fait comme les autres : un autocollant « Emmaüs-Maisoncelle » est apposé sur la boîte aux lettres.

Structure d’insertion

C’est le nom du projet lancé en 2020 par Bruno Vautherin, le fondateur et directeur de la structure. Les quatre salariés présents travaillent en fait à leur retour dans la société. Car cette ferme est une structure d’insertion, destinée à accueillir des personnes en fin de peine et qui bénéficient d’un aménagement : le placement à l’extérieur. Ils rejoignent le projet volontairement, sur dossier.

Après un entretien avec le directeur pour connaître leurs motivations, l’équipe évalue la capacité de la personne à rejoindre la ferme puis lui propose une immersion. C’est ensuite l’administration pénitentiaire qui valide ou non le projet. Cette initiative est lauréate de la deuxième édition de l’appel à projets Inclusion et ruralité 2024, créé par la MSA. Soutenu par le réseau Emmaüs, il propose une production diversifiée de maraîchage sur 2 hectares, dont 1 800 m2 sous serre en agriculture biologique. Les légumes sont ensuite vendus en circuit-court (vente directe, restauration collective et magasins).

En France, le taux de récidive dans les cinq ans après la sortie de prison est de 60 %. La structure souhaite donc favoriser un accompagnement de qualité. Il y a un « manque criant d’alternatives à l’incarcération et de dispositifs pour préparer la vie après la prison », note Bruno Vautherin. En Nouvelle-Aquitaine, il n’existait d’ailleurs aucune structure capable d’accueillir des hommes dans le cadre du placement extérieur. Pour les détenus qui mettent un pied (ou une botte) sur l’exploitation, c’est l’espoir d’un avenir et une occasion de préparer leur retour à la liberté.

Renouer avec la société

Au-delà de l’activité agricole réalisée sur ce lieu, c’est donc bel et bien une réinsertion sociale qui est en jeu ici. « 60% de nos résidents et salariés voisins1 rebondissent vers un emploi stable ou une formation », continue le directeur. La ferme a la capacité d’accueillir quatre à huit résidents qui vivent en communauté. Des chambres individuelles sont à disposition ainsi que des espaces communs. Après avoir passé en moyenne 11 ans derrière les barreaux, le retour à la vie « ordinaire » peut être compliqué pour ces détenus.

« Il faut apprendre à habiter ensemble, témoigne Bruno Vautherin. Le midi, tout le monde prépare les repas. On a fait le choix de privilégier une alimentation végétarienne, les légumes viennent à 100% de la ferme et le reste des produits sont bios et locaux. » Le soir et le week-end, ils cuisinent ce qu’ils veulent. « Il n’y a pas de hiérarchie, on met des choses en place pour que la cohabitation se passe au mieux », explique-t-il. Les résidents sont aussi amenés à se responsabiliser. Ils contribuent par exemple au loyer.

Avec un contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI) de 26 heures par semaine, ils peuvent faire (presque) ce qu’ils veulent de leur temps libre, tout en respectant des horaires et un secteur géographique défini. Car ici, pas de barreaux, c’est aux détenus de respecter les règles. Ils ont ainsi le temps d’effectuer des démarches, de préparer l’après. Mais ils font aussi du sport, leurs courses, comme toute personne libre. Ils sont invités à partager la vie locale avec les salariés et les bénévoles.

Un projet bien accueilli

« Le projet aurait pu susciter des craintes ou des oppositions, mais il a été plutôt bien accueilli », souligne le directeur. Et ce ne sont pas les habitants du coin qui vous diront le contraire. En tout cas, pas les quelque 200 personnes venues profiter de la journée « Fête à Maisoncelle » organisée sur le terrain en septembre. Preuve qu’un tel projet peut s’intégrer dans la vie d’un territoire. Au cœur d’un tissu associatif local dynamique, les résidents s’engagent même dans des associations alentours : certains s’investissent à la recyclerie du coin, d’autres dans des événements musicaux, ou encore dans des associations. Des bénévoles viennent épauler les quatre permanents qui encadrent le travail des détenus. Transports, maintenance, activités… ils sont 30 à 40 à se mobiliser pour donner un coup de main.

Par la suite, un projet de construction de studios permettra de proposer des logements plus pérennes. « On avance avec eux sur leur projet de sortie mais l’autre difficulté pour ceux qui sortent de prison est de trouver un logement, constate Bruno Vautherin. On veut trouver des solutions pour leur éviter de se retrouver sans domicile. »

(1) La ferme implique également des habitants du territoire éloignés de l’emploi et éligibles aux dispositifs d’insertion par l’activité économique.

Inclusion et ruralité, un programme aux 1 000 facettes

La deuxième édition de l’appel à projets « Inclusion et ruralité », lancé par la MSA, vise à accompagner le développement de nouvelles activités d’insertion adaptées aux réalités rurales. Il accompagne sur trois ans le développement de 35 structures inclusives qui contribuent également à la résilience alimentaire. Parmi elles, 28 sont des ateliers chantiers d’insertion, une est une association intermédiaire, cinq entreprises sont à but d’emploi et une régie de territoire.

Les lauréats bénéficient d’un accompagnement territorial, financier et d’un accompagnement à l’évaluation et à la mesure d’impact social. La mise en place de ce programme répond à quatre enjeux majeurs :
› Agir pour une société plus inclusive et renforcer la réponse aux besoins sociaux des territoires ruraux.
› Consolider les structures existantes de l’insertion par l’activité économique (IAE) afin de renforcer l’offre d’insertion sur le territoire national.
› Soutenir les structures contribuant à la résilience alimentaire des territoires.
› Participer à la dynamisation et au développement économique des territoires ruraux.

La MSA mobilise près de 3 millions d’euros pour I&R pendant 3 ans.