Un mois d’août méditerranéen et ses températures caniculaires. Non loin de la plage de sable de Mauguio, commune du littoral de l’Hérault, des salariés agricoles cueillent les légumes et les fruits stars de l’été, notamment les nectarines, les melons et les tomates, devenus des symboles du Languedoc. La plupart échangent en espagnol. Les plus à l’aise avec la langue de Cervantès reconnaîtront l’accent des pays de l’Amérique latine, situés à des milliers de kilomètres de l’Hexagone. Une singularité qui s’explique parfaitement.
Un phénomène en augmentation depuis le Covid
« Les premiers travailleurs saisonniers agricoles latinoaméricains sont arrivés en France, notamment dans le sud du pays, il y a une dizaine d’années, par le biais du travail détaché, explique Christophe Boulanger, responsable du département de l’action sanitaire et sociale à la MSA du Languedoc.
Ils ne restaient que quelques mois ici puis retournaient dans leur pays de résidence. Une partie de ces personnes venues majoritairement d’Équateur et de Bolivie via le sud de l’Espagne sont désormais installées en France de manière stable et durable. Le phénomène s’est accéléré depuis la pandémie de Covid-19.
Ce public est marqué par d’importantes difficultés d’accès aux droits en santé et famille mais aussi au logement et à l’apprentissage de la langue française. »
Méconnaissance de leurs droits
Cette population s’est présentée en nombre aux agences MSA de Beaucaire, Lunel et Vauvert, souvent en groupe et après le travail des champs. Les trois villes sont situées dans des secteurs géographiques marqués par des activités agricoles très consommatrices de main-d’œuvre saisonnière. Il s’agissait pour la plupart d’entre eux de leur première confrontation avec le système de protection sociale français. « Leur demande initiale est d’abord que nous les aidions à ouvrir leurs droits le plus vite possible pour pouvoir travailler », souligne Claire de Hadjetlache, assistante sociale à la MSA sur les sites de Lunel et Mauguio.
« Ils arrivent chez nous avec une demande et nous découvrons que leurs besoins sont beaucoup plus larges. C’est la force du guichet unique, la valeur ajoutée de la MSA par rapport au régime général, qui permet d’accompagner la personne dans son intégralité et tout au long de sa vie », se réjouit Gaby Soustelle, administrateur à la MSA du Languedoc (élu au collège des salariés) et vice-président du comité d’action sanitaire et sociale. L’homme est retraité de la compagnie des Salins du Midi, à l’origine de la fameuse marque La Baleine bleue, encore aujourd’hui visible sur toutes les tables.
« L’administration française n’est pas simple à comprendre. Il n’est pas évident de trouver du temps et de la motivation après la journée de travail pour s’occuper de ses papiers, surtout quand on doit en plus aller récupérer ses enfants, laissés chez quelqu’un, faute d’avoir pu obtenir une place en crèche », confirme Marisol, 37 ans, qui a la double nationalité équatorienne et espagnole. Elle est arrivée en France en 2016 après dix années passées dans l’agriculture à Grenade, dans le sud de l’Espagne, et cinq autres dans l’hôtellerie à Burgos, dans le nord du pays. « Il est plus facile de trouver un travail ici qu’en Espagne. Les rémunérations sont meilleures », explique cette salariée, actuellement en congé maternité, qui enchaîne souvent des contrats de six ou sept mois par an.
« Cela contredit le cliché de l’immigré qui viendrait profiter du système, soutient Virginie Nadal, responsable du développement social des territoires à la MSA. On est face à des personnes qui ne mobilisent pas leurs droits. Cette méconnaissance vient aussi du fait que la prise en charge de la santé ne se fait pas du tout de la même façon en Amérique latine ou dans un pays proche comme l’Espagne qui fonctionne selon un système de dispensaires ouverts à tous. »
Solitude due à l’éloignement
Ce constat fait, les travailleurs sociaux et le service de la relation adhérents de la caisse se sont associés aux conseils départementaux du Gard et de l’Hérault, aux mairies de Lunel et de Vauvert, à la Maison Jean-Jacques Rousseau à Lunel, au centre social Rives à Vauvert, à l’espace de vie sociale Booster de Beaucaire et à plusieurs associations accompagnant ce public pour trouver des solutions adaptées. Dans ce cadre, la MSA a organisé des réunions d’information animées par des agents d’accueil et des travailleurs sociaux dans les trois communes avant le début de l’été. Une interprète, recrutée pour l’occasion, a facilité la compréhension et les échanges. Un dépliant de rappel des droits santé, famille et action sociale, traduit en espagnol, a été remis aux participants.
Dix-huit personnes se sont déplacées à la réunion organisée à Lunel en avril. On en attendait 12. La preuve qu’elle répondait à un réel besoin. À la fin, la moitié d’entre elles ont pris un rendez-vous avec l’agent d’accueil pour l’étude de leur dossier. Trois n’avaient même pas leur numéro définitif, ce qui signifie qu’elles venaient d’arriver.
On a constaté des droits en santé qui ne sont pas toujours activés et une méconnaissance des aides de l’action sociale ou de la complémentaire santé solidaire dont ils ont appris l’existence. En protection sociale comme ailleurs, si vous ne savez pas ce que vous cherchez, vous ne le trouverez jamais. Tout le monde a besoin d’être accompagné à l’entrée dans un régime, étranger ou pas.
Il ressort de leurs témoignages que leur logement pose un problème central. Dans mon secteur, les employeurs logent leurs saisonniers, mais une fois la saison terminée, ils doivent lâcher leur appartement et se tourner vers le parc privé et des propriétaires qui leur ferment la porte d’office en exigeant un CDI.
À Lunel, des cours de français sont également proposés par deux de nos partenaires locaux, la Ligue de l’enseignement et la Maison Jean-Jacques Rousseau. Un besoin qui se fait sentir dès les gens se sédentarisent.
« Ils ont compris qui nous sommes et comment faire valoir leurs droits. Ils ont aussi constaté que nous travaillons en bonne intelligence avec nos partenaires, en particulier les centres sociaux, des lieux ressources qu’ils fréquentent et dans lesquels ils ont confiance, explique Annick Duffaut, assistante sociale à Vauvert. J’ai été surprise de la chaleur de ces soirées chez un public qui souffre parfois de solitude et de l’éloignement de leur famille. Ils ont été heureux de se rencontrer. Certains ont eu du mal à se quitter à l’image de ces deux Vénézuéliennes qui se sont rendu compte qu’elles venaient du même barrios (quartier) de Caracas. »
Sécuriser le parcours du salarié
Ce sont les personnes qui cumulent le plus de précarités. Nos partenaires, comme le centre social de Lunel qui fait office de médiateur auprès de cette population, nous ont alertés en 2019 : ils accueillaient de plus en plus de personnes rencontrant des difficultés d’accès aux droits et nous ont solliciter pour trouver des solutions.
À partir de là, nous avons décidé d’aller beaucoup plus loin en nous interrogeant sur qui sont ces personnes et ce que nous, service social, pouvions faire pour elles. Les élus MSA nous ont alloués les moyens humains et financiers pour y travailler et mettre en place ce que Cédric Saur, président de la caisse, appelle « Agir emploi ». Une avancée qui permet d’intervenir sur la sécurisation du parcours du salarié. Toute la richesse de cette action réside dans le fait que l’on agit à la fois sur le plan individuel, pour l’accompagnement à l’accès au droit et à la vie sociale au sens large, et sur le développement social des territoires.
En complément de ces multiples dispositifs (convention territoriale de la CAF, programme Grandir en milieu rural de la MSA), nous réfléchissons à l’ouverture de modes de garde atypiques pour les parents qui travaillent dans le maraîchage à des horaires décalés. Il y a aussi la question de l’habitat qui ne doit pas être oubliée. Nombre d’entre eux vivent dans le centre-ville ancien, vétuste et parfois indigne, comme à Beaucaire.