Vue de loin, la Cité maraî­chère de Romainville, en Seine-Saint-Denis, res­semble à une médiathèque. Deux tours flambant neuves s’élèvent au beau milieu du quar­tier Marcel-Cachin, rénové il y a une dizaine d’années. Dès l’entrée, les narines sont prises d’assaut par l’odeur alléchante des plats concoctés dans le café-restaurant, posté là comme pour vous souhaiter la bienvenue. En ce mer­credi 26 mars, à 14 heures, le service est terminé. Des clients finissent leur déjeuner, pendant que d’autres s’at­tablent pour une pause-café. Une maman et sa petite-fille sirotent un jus de fruit.

Rien ne laisse deviner que le lieu abrite dans les étages supérieurs deux serres de 550 m2 de surface cultivable, où poussent dans des bacs des fruits et légumes de saison. Et encore moins qu’au sous-sol se cache une cham­pignonnière de 150 m2 et une endiverie de 10 m2. À elles toutes, elles fournissent chaque année 1,7 tonne de plantes potagères, 2,5 tonnes de cham­pignons et 1 tonne d’endives.

Une culture hors sol est disséminée dans les deux bâtiments. Tous les légumes de saison peuvent être cultivés dans des bacs en aluminium sous le bâtiment de verre. Salade, aubergine, blette, betterave mais aussi micropousses, endives et champignons sont produits.
La serre de la Cité maraîchère est installée dans les bâtiments de verre de 3 et 6 étages.

« Et tout est goûteux », se réjouit Étienne Sahy, chef de culture depuis 2022. « Il suffit de se régaler des plats du restaurant réalisés entre autres avec nos produc­tions », argue-t-il, fier de son travail. Pour l’aider dans les cultures, il a à ses côtés cinq salariés recrutés dans le cadre d’un chantier d’insertion par l’activité professionnelle. Les jeunes gens mettent les mains dans la terre pour engranger de l’expé­rience et reprendre confiance en eux.

Vente en direct les mercredis à 17 heures

« On vend nos produits au marché organisé chaque mercredi dans le local du rez-de-chaussée. Ils sont proposés aux habitants à un tarif modulé selon le quotient familial. On a beaucoup de succès. Plus de 40 personnes par semaine viennent y faire leurs courses. » Les restaurateurs et épiciers des environs ainsi que six associations pour le maintien d’une agriculture paysanne d’Île-de-France profitent également de ce circuit court, en parti­culier des champignons et des endives produits en grande quantité.

Cet après-midi-là, le mot d’ordre de l’équipe, c’est la préparation du marché. Tout le monde s’active sous l’œil bienveillant d’Étienne Sahy qui distribue les consignes. Dans le bâtiment ouest, Nathalie1 récolte des blettes, des laitues, des navets prêts à la consommation qu’elle dépose dans son chariot. Ses collègues se sont répartis dans les autres étages et dans la cave pour compléter la cueillette. Car l’étal doit être garni en belles denrées fraîches avant l’accueil du public à 17 heures.

D’ailleurs à 16 h 30, certains d’entre eux font déjà le pied de grue devant le local, déterminés à ne pas manquer leur portion de verdure vendue à un prix accessible. Il n’y en aura pas pour tout le monde. « Les habitués le savent », lâche un salarié terminant d’afficher les prix pour chaque légume.

Se reconnecter à notre alimentation

Susciter cet appétit d’agriculture est au cœur du projet de la Cité maraî­chère. « Ce n’est pas l’agriculture urbaine qui va nourrir les villes, mais elle permet de se reconnecter à notre alimentation, à l’agriculture et à la nature », rappelle Yuna Conan, directrice de la structure et en charge de l’agriculture urbaine et de la transition alimentaire pour la commune de Romainville. Cette ferme est avant tout un tiers-­lieu muni­cipal dédié à l’éducation et à ces recon­nexions. Elle est intégrée aux quartiers via des tarifs accessibles. Les ateliers sont gra­tuits. Toutes les écoles nous rendent visite. Des événements et festivals sont organisés le week­-end. »

Et les projets ne poussent pas seulement au sein de la Cité, ils pro­lifèrent aussi à l’extérieur. « En 2022, nous avons créé à 5 minutes de la Cité Le jardin Casse-Dalle, récupéré en cassant la dalle pour obtenir de la pleine terre. On y a installé un poulailler, des ruches. On a initié un mur à pêches, une spécialité du plateau de Romainville. Trois autres dispositifs ont vu le jour dans un autre quartier populaire en renouvellement urbain… » La Cité n’en finit pas d’essaimer dans la ville.

Trajectoire d’exploitant agricole 

Avant de devenir agriculteur urbain, Etienne Sahy vendait du matériel horticole. C’est à ce moment-là que germe l’idée de se lancer dans le métier. Il quitte son emploi et prépare le Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole au centre de formation pour adultes d’Angers Le Fresne. « Beaucoup étaient en reconversion professionnelle et n’étaient pas issus du milieu agricole », se souvient le Parisien. Aujourd’hui, l’envie d’acquérir son exploitation « maraîchère plus traditionnelle en dehors de la ville » le titille parfois, mais il remet à plus tard le projet. « Pour le moment, je suis ravi de pouvoir gérer une exploitation un peu bizarre. »