C’est déjà le dernier jour de vacances aux Quatre vents. Autour de la table pour leur dernier dîner tous ensemble, Estelle, Béatrice, Renate, Fabrice et les autres s’échangent leurs numéros de téléphone. « On s’est rapprochés petit à petit, les enfants se sont liés d’amitié… et il faut déjà se quitter ! » L’émotion, même retenue, est palpable.
Le petit groupe de cinq familles, dont onze enfants, a passé une semaine au bord de l’océan, loin de leur quotidien agricole, sur l’île de Noirmoutier. Un séjour rendu possible grâce au programme Partir pour rebondir de la MSA, en partenariat avec l’association nationale pour les chèques vacances (ANCV) et les villages vacances de l’AVMA, qui aide les familles ou les couples à concrétiser leur départ, accompagné ou en autonomie. Un moment de répit important pour des personnes qui ne partent jamais en vacances, ont peu de revenus et/ou connaissent des problèmes de santé.
À l’Épine, au sud de l’île, entre mer, forêt et marais salants, les enfants s’en donnent à cœur joie sur les vélos. Filles et garçons pédalent à tout-va dans les allées à l’ombre des arbres, zigzaguant entre les gîtes et le mini-golf. « La plupart ne sont jamais allés beaucoup plus loin que la Normandie, assure Marie-Christine Geerts, assistante sociale à la MSA Côtes Normandes, qui les accompagne pendant leur séjour. Je les aide un peu à s’organiser, à se rappeler du programme, des horaires… au début, ils sont un peu perdus. Ils n’ont pas leurs repères. Ils n’osent pas prendre d’initiatives. Mais après deux-trois jours, c’est parti ! »
Pour mieux apprendre à se connaître, elle leur propose de se retrouver tous les soirs pour les apéros quiz. Un moment convivial où chacun se raconte sa journée, prépare les activités du lendemain. Piscine, sauna, plage, repas champêtre, tour de l’île en petit train, escape game, sortie en goélette, soirée karaoké, balades à vélo, sortie au Puy du Fou ou sur L’Île-d’Yeu… il n’y a que l’embarras du choix.
Mais se détendre n’est pas si facile quand on s’occupe d’une ferme… « Au début, ils appelaient souvent pour voir si tout allait bien, raconte l’assistante sociale. Pour les remplacer pendant leur absence, ils ont fait appel à un service de remplacement que nous aidons à financer, ou se sont arrangés en famille. » Pour Fabrice justement, le remplacement, via un service de vacher, s’est mal passé et il a dû trouver une solution en urgence. Il faut dire que pour cet exploitant laitier en conversion bio, associé avec son frère, les difficultés se sont accumulées, entre des primes qui n’arrivent pas et un épisode de mammite sévère [affection inflammatoire des mamelles due à des bactéries, qui a ici proliféré dans l’appareil de traite, NDLR] qui lui a fait perdre beaucoup en 2018… Il a d’ailleurs fait deux grèves de la faim pour se faire entendre.
« On a mis longtemps à trouver l’origine du problème… et nous avons vu mourir nos veaux les uns après les autres… ça a été très dur, avoue Estelle, sa compagne. Ça fait plus de deux ans qu’il ne se verse plus de salaire, et depuis que je suis en reconversion professionnelle, c’est très compliqué. Et pour la vie de famille ce n’est pas évident car il est très pris par la ferme. Mais je ne veux pas que les enfants en pâtissent, j’aimerais pouvoir leur faire plaisir. Surtout qu’ils ressentent bien nos soucis, même si on ne veut pas les faire paraître. C’est important de faire une petite coupure, surtout pour eux. L’année dernière, grâce aux chèques vacances, ils ont pu partir en mini camp à Sainte-Marie-du-Mont, pendant quatre jours. »
« On a mis longtemps à trouver l’origine du problème… et nous avons vu mourir nos veaux les uns après les autres… ça a été très dur, avoue Estelle, sa compagne. Ça fait plus de deux ans qu’il ne se verse plus de salaire, et depuis que je suis en reconversion professionnelle, c’est très compliqué. Et pour la vie de famille ce n’est pas évident car il est très pris par la ferme. Mais je ne veux pas que les enfants en pâtissent, j’aimerais pouvoir leur faire plaisir. Surtout qu’ils ressentent bien nos soucis, même si on ne veut pas les faire paraître. C’est important de faire une petite coupure, surtout pour eux. L’année dernière, grâce aux chèques vacances, ils ont pu partir en mini camp à Sainte-Marie-du-Mont, pendant quatre jours. »
Difficultés financières, problèmes de santé, dépression voire pire encore…les petits agriculteurs souffrent. Le stress, la fatigue et le découragement peuvent vite s’accumuler. Mais une chose reste : la passion, pour leur métier, pour leurs animaux, leur terre.
Une terre, souvent transmise de père en fils, et qu’il faut parfois laisser à quelqu’un d’autre. Comme pour Damien, venue avec sa compagne Brigitte. Cet exploitant de 57 ans est en cessation d’activité après des problèmes de dos. « J’ai trop forcé, je suis arrivé à saturation. Si j’avais su, j’aurais arrêté avant. » Une chute en mai 2018, lombaires fracturées, arthrose, tassement des vertèbres, ostéoporose… il ne peut plus travailler. Il a réussi à trouver un jeune repreneur ; le compromis est signé ; mais entre les problèmes administratifs, d’indemnités et le fait de vivre encore dans leur maison sur l’exploitation… ils avaient bien besoin d’une pause. « Je n’ai jamais eu à me plaindre, car j’ai toujours fait ça avec plaisir depuis que je suis tout jeune. Mais quand le dernier camion est parti avec mes vaches, j’en ai pleuré. Je ne sais pas encore ce que je vais devenir, mais je suis bien ici ! Je resterai bien encore une semaine. » « Aujourd’hui, on est à Noirmoutier, et ce n’est que du bonheur, ajoute Brigitte. Être femme d’agriculteur, ce n’est pas facile non plus. Aujourd’hui on peut décompresser. »
Ce n’est pas Renate qui la contredira. Elle et Bart, son mari, sont venus s’installer en France en 2014, à 32 et 33 ans, pour réaliser leur rêve : avoir une ferme. « Aux Pays-Bas, on perd le lien avec les agriculteurs. Les terres sont très très chères, on arrive facilement à 80 000 euros l’hectare ! » Après trois ans de salariat agricole, ils trouvent une exploitation à reprendre en Loire-Atlantique. Tout était prévu pour le 1er janvier. Mais le rêve s’effondre lorsque Bart tombe malade le 24 décembre. Une méningo-encéphalite lui vaut un mois d’hospitalisation et six autres de rééducation.
« Il a gardé des séquelles importantes. Il ne peut plus travailler comme avant. » Ses problèmes de mémoire l’empêchent notamment de retrouver son chemin. Une heureuse rencontre lui permet de décrocher un travail dans une grande serre de tomates à Brécey, dans la Manche. Reconnu travailleur handicapé, il est en CDI depuis décembre 2018.
« Mais ce n’est plus la même chose, on était partis pour une vie à la ferme. Aujourd’hui, il pourrait traire les vaches mais il ne pourrait pas trouver le pré. Tout doit être cadré, à la même place. Il lui a fallu six semaines pour aller au travail sans l’aide d’un GPS. » Pour ce couple, qui a déjà vécu trois opérations du cœur de leur fille aînée, la parenthèse ensoleillée est pleine d’espoir et de rencontres. « Dans le groupe, tout le monde a ses problèmes. On s’entraide et on échange avec des personnes qui nous écoutent, qui comprennent et vivent la même douleur, ça fait du bien. On se sent moins seuls. Et le personnel du centre est super. Rencontrer les employés de l’Esat [adossé au centre, NDLR], avec la situation de Bart, ça m’a aussi rassuré et aidé à accepter plus facilement son handicap. »
Partager, mais aussi penser à autre chose, profiter des bons moments en famille, et désormais entre amis… Une semaine inoubliable qui se termine en beauté avec le spectacle de fin de saison auxquels les enfants ont participé. Tous reviennent avec de beaux souvenirs.
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